Depuis sa création, le couteau de Laguiole n’a eu de cesse d’évoluer pour s’adapter aux besoins de la population. Les conflits mondiaux du XXème siècle ont grandement impacté sa fabrication dans son bassin d’origine, à Laguiole en Aveyron. Toutefois, les Laguiolais passionnés par la coutellerie traditionnelle ont su donner un second souffle au couteau de Laguiole. Partons ensemble à la découverte de l’histoire du couteau de Laguiole.
La naissance du couteau de Laguiole, et ses premières évolutions
Avant l'apparition du couteau de Laguiole, les habitants du plateau de l’Aubrac utilisaient un couteau droit, appelé le "capuchadou". Chaque personne avait son propre couteau et s’en servait à la fois pour les travaux de la ferme et à la maison. Néanmoins son principal inconvénient était de ne pas pouvoir se plier. Pour répondre à cette problématique, des couteaux pliants ont été créés. Ces couteaux ne comportaient pas de ressort, afin de limiter la main-d'œuvre et les coups de fabrication. La lame était maintenue ouverte uniquement par la pression de la coupe lors de l’utilisation. Ce n’est qu’en 1829 que le premier couteau de Laguiole, semblable à celui que l’on connaît aujourd’hui, a été créé. C’était un couteau avec un manche entièrement en corne de vache, car c’était la ressource la plus noble disponible sur place. Au départ, le couteau de Laguiole était muni d’un cran d’arrêt. Il fallait alors soulever la mouche pour libérer la lame et refermer le couteau. La mouche avait alors un usage mécanique.
La première évolution majeure du couteau de Laguiole a été l’ajout d’un poinçon, dans les années 1840. A l’origine le couteau de Laguiole est un couteau de berger et le poinçon avait une fonction de trocart. En effet, lorsque les bêtes broutent trop d’herbe riche en azote, une fermentation se produit dans la panse, l’animal gonfle jusqu’à s’asphyxier. Il est alors indispensable de percer la panse de l’animal pour évacuer le gaz et le sauver.
Plus tard, à partir de 1880, le tire-bouchon est ajouté aux couteaux de Laguiole à la demande des bougnats aveyronnais, vivant à Paris. Cette époque voit également apparaître des mitres, embouts métalliques située à chaque extrémité du manche. Elles permettent de protéger le manche du couteau en cas de chute sur un sol dur, tel que les pavés de la capitale. Dix ans plus tard, en 1890, le couteau de Laguiole trois pièces (lame, tire-bouchon et poinçon) fait son apparition. C’est la version la plus enrichie du couteau de Laguiole.
En parallèle, le mécanisme du couteau de Laguiole évolue; ainsi apparaissent les premiers modèles de couteaux à cran forcé. La mouche perd alors son utilité mécanique pour devenir décorative. Dès 1880, les couteliers Laguiolais manient la lime pour créer des mouches aux motifs floraux (trèfle, marguerite etc.) ou géométriques, probablement inspirés par la riche flore du plateau de l’Aubrac. Le guillochage de la mouche devient la marque de fabrique de chaque artisan coutelier du village. Le motif de l’abeille n'apparaît que plus tard, aux alentours des années 1910. A l’époque, il était impossible pour les couteliers de se douter que l’abeille deviendrait le symbole du couteau de Laguiole dans le monde entier.
Premier âge d’or du couteau de Laguiole et déclin
Ainsi, le XXème siècle débute en pleine apogée de la première vague de coutellerie à Laguiole. Tous les ateliers de coutellerie étaient alors implantés dans le rue du Valat à Laguiole. De petite taille, chaque atelier comptait un ou deux employés, et était composé d’une partie forge et d’une partie destinée au montage et au façonnage du couteau. Chaque artisan réalisait toutes les étapes de fabrication du couteau, de la forge jusqu’au façonnage.
Malheureusement, la première guerre mondiale marque le déclin de la coutellerie à Laguiole. Beaucoup d’artisans partis à la guerre n’en revinrent jamais. La coutellerie à Laguiole a ainsi difficilement vivoté jusqu’au début des années 1980 où il ne restait que deux ateliers de coutellerie dans le village. En parallèle, la coutellerie à Thiers s’est développée, proposant une production de couteau de Laguiole plus industrialisée: chaque opérateur réalisait une partie du couteau, les ateliers de fabrication étaient plus mécanisés qu’à Laguiole. Durant les années suivant la seconde guerre mondiale, Thiers a fourni la majeure partie des couteaux de Laguiole disponibles sur le marché.
Le renouveau du couteau de Laguiole
En 1984, les élus du plateau de l’Aubrac et les syndicats de communes du territoire s'associent pour créer un projet de relance de la production du couteau de Laguiole. Ainsi, ils envoyèrent de jeunes Laguiolais se former à la coutellerie à Nogent et à Thiers dans le but de rouvrir des ateliers de coutellerie à Laguiole. La dynamique est alors lancée, marquant la reprise de la fabrication artisanale du couteau de Laguiole dans son berceau de naissance.
En 1993, Jean-Pierre Mijoule, le père de Benoit et fondateur de la Maison du Laguiole, s’associe avec trois autres couteliers locaux afin de créer la forge de Montézic, située à 20 km de Laguiole. Cette forge indépendante fournit l’ensemble des pièces détachées nécessaire à la fabrication de nos couteaux. Ainsi, cette forge nous a permis de s’affranchir des pièces détachées fabriquées à Thiers, tout en proposant des tarifs abordables par rapport aux pièces entièrement forgées à la main.
En mars 2014, la loi sur les Indications Géographiques est amendée afin d’inclure les produits non agricoles. Dès lors, plusieurs couteliers de Laguiole créent ensemble le Syndicat des Fabricants Aveyronnais du couteau de Laguiole. Leur objectif est de mettre en place une Indication Géographique pour le couteau de Laguiole afin de lutter contre toutes les contrefaçons et maintenir l’activité coutelière artisanale dans le Nord Aveyron. La demande d’indication géographique pour le couteau de Laguiole est actuellement en cours d’instruction.
Aujourd’hui, l’activité coutelière à Laguiole génère 200 emplois sur le territoire. De jeunes couteliers sont formés année après années au sein des coutelleries artisanales du territoire, dans l’espoir de faire perdurer de nombreuses années le savoir-faire traditionnel et artisanal de la fabrication du couteau de Laguiole.
Pour plus d’informations, nous vous conseillons l’ouvrage de Christian Lemasson, Laguiole, Histoire d’un couteau de collection, Artémis édition, 2019.